Le troubadour faisait partie des jongleurs. Ce terme n’a pas, à l’époque, la connotation très spécifique que nous lui accordons aujourd’hui mais englobe tous les métiers dont la vocation est d’amuser, du latin « joculare ». Ce mot jongleur désignait donc autant les musiciens, les chanteurs et les conteurs que les acrobates, mimes, danseurs, les cracheurs de feu, les bateleurs, etc.
Les jongleurs étaient divisés en trois catégories .
Les saltimbanques, le « bas de l’échelle », ils se produisent sur les places publiques ou dans les tavernes.
Les instrumentistes, quand ils sont aptes à reproduire les mélodies et faire danser la foule sur un instrument de musique.
Enfin, les troubadours qui maîtrisaient à la fois l’art poétique et composait des mélodies pour accompagner le texte.
Mais ces fonctions n’étaient pas hermétiques et il arrivait qu’un troubadour fasse chanter ses cansos par un jongleur ou qu’un instrumentiste, Peirol d’Auvernha, renommé pour sa maîtrise du rebec, le violon au moyen-âge, est devenu aussi un troubadour dont la production est aussi abondante que d’une très grande qualité artistique.
De plus, l’un n’existe pas sans l’autre. Le troubadour n’écrit pas sa canso et, quand il l’a trouvée, il l’enseigne à un musicien qui se chargera de l’interpréter. Si nous avons aujourd’hui ces précieuses œuvres, c’est grâce aux notateurs, ce qui explique que, d’oreilles en oreilles, il n’existe jamais de transcriptions identiques d’une même œuvre, et nous n’avons pas de manuscrits autographes d’un troubadour.
Du reste, ces transcriptions ne sont que des aide-mémoires où souvent, le texte seul est indiqué alors qu’il est aussi indissociable de la mélodie que le serait celui d’une chanson de Jacques Brel.
Pour couronner le tout, les altérations et les rythmes n’étaient pas notée et on n’a pas la moindre idée des techniques de chant de l’époque. Il faut savoir que la gamme tempérée n’existe que depuis le 18° siècle. La reconstitution d’une prestation de troubadour fait donc appel à beaucoup d’imagination, à partir des transcriptions modernes ternaires qui nous servent aujourd’hui, qui, si elles sont pratiques, sont forcément erronées.
Des troubadours, nous savons donc qu’ils existaient mais pas comment ils chantaient, c’est l’éternel mais fascinant problème avec tout ce qui concerne le moyen-âge, il n’y a pas de vérité médiévale mais une recherche constante de nous en approcher.
Il n’y a pas de vérité médiévale.
Comment ? Me direz-vous, alors que la disparition des indices, en particulier des archives qui ont été détruites ou l’absence de documents dans une tradition essentiellement orale. Mais en faisant marcher nos petites cellules grises, comme disait Hercule Poirot. L’oralité permet une survivance, en particulier dans certaines traditions populaires ancestrales dont les troubadours se sont fortement inspiré, la musique et la poésie arabe et hispanique, par exemple, et dans une iconographie encore riche qu’il reste à analyser.
L’amour courtois.
Ce qui est certain, c’est que l’Histoire des troubadours est étroitement liée à l’amour courtois, au fin’amor, une manière d’aimer, sorte de transcription poétique de la féodalité, une relation dans laquelle le poète devient le vassal d’une grande dame, marié à un personnage puissant et pour qui il chante sans rien n’attendre en retour. C’est, ainsi que Guillaume IX d’Aquitaine dira :
« D’amour je ne dois dire que du bien, si je n’en ai ni peu ni prou, c’est peut-être que je n’en dois pas avoir d’avantage, mais je sais qu’il donne aisément grande joie à celui qui observe ses lois. »
Chrétien de Troyes se montrait plus explicite :
« Mais Raison qui s’oppose à Amour lui ordonne de se retenir de monter, elle le sermonne et lui enseigne à ne rien faire dont il pourrait avoir honte ni reproches…. »
Bien sûr, il y a eu quelques incidents et Marcabru, le poète gascon trop entreprenant a été prié d’aller chanter pour les belles de Castille. Mais il est vrai que le roi moine, l’époux d’Aliénor, avait peu l’esprit à de telles manifestations artistiques.
Mais il y a aussi la très belle histoire de Jaufré Rudel qui, ayant entendu parler de la princesse de Tripoli, en serait tombé amoureux sans l’avoir vue, l’amour virtuel au moyen-âge, serait parti avec la deuxième croisade pour la rencontrer et serait mort dans ses bras.
Il y a quelques exceptions, comme toujours. Arnaut Daniel, ce troubadour périgordin qui fut une « star », dans la seconde moitié du 12° siècle et jusque pendant le Renaissance, tant que Dante et Pétrarque l’évoquent comme le « Grand maître d’amour ». Mais il a une vision plus concrète de la « chose », et l’inventeur de la sextine nous a laissé un grand nombre de poèmes érotiques :
«Puisse-t-elle mon corps, sinon mon âme, recevoir en secret dans sa chambre ! »
On ne peut être plus direct.
Bertran de Born est un troubadour militant et son œuvre est essentiellement politique. Un conflit a éclaté au sein de la famille des Plantagenêt. Les fils d’Henri II, soutenus par leur mère, se sont révoltés contre leur mère, Aliénor d’Aquitaine, et le théâtre de cette confrontation à lieu sur ce qui est actuellement l’ouest et le sud-ouest de le France mais qui sont alors de terres anglaises. C’est là qu’ont trouvé Henri II le jeune, Richard cœur de lion, lui-même troubadour et Geoffroy.
Bertran de Born est opposé à son frère, passé sous le giron des Plantagenêt, suzerains du Limousin et veut faire valoir son droit à être seigneur indépendant d’Hautefort. Son art va donc servir cette cause en soutenant Henri II le jeune puis Richard, avant de se retirer dans l’abbaye de Dalon, à la mort de ce dernier, où il finit ses jours.
Et puis, il y avait les femmes.
Les trobairitz étaient très nombreuses et non moins talentueuses, tant qu’on peut presque parler de parité dans ce domaine. Maria de Ventadorn, Almucs de Castelnou, Iseut de Capio, Na carenza, Guillelma de Roser, etc. Malheureusement, il ne nous reste que bien peu de textes qui témoignent de cette abondante production et une seule mélodie : « A chantar m’er de so que no volria », de la comtesse Beatritz de Dia. Il s’agit une superbe canso qui contribue à nous faire regretter que le temps ait effacé une si riche production.