Un statut méconnu.

À la fin du Moyen Âge, la main-d’œuvre féminine tient une place décisive dans l’économie européenne, mais avant cela, au début du douzième siècle, de nombreuses modifications ont été opérées dans ce domaine. Ces modifications ont permis aux femmes d’exercer un plus grand choix de métiers. Elles travaillent généralement avec leur mari, dans l’entreprise familiale artisanale, marchande ou paysanne mais certaines femmes sont devenues chefs d’entreprises, artisanes ou artistes reconnues dans leur domaine, comme Marie de France au douzième siècle, l’historienne Anne Comnène, (1083-1153), Bettisia Gozzadini, (1209-1261), docteur en droit de l’Université de Bologne et professeur, et des reines qui ont un pouvoir comme Adélaïde d’Aquitaine, Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille… Mais ce sont des exceptions qui ne permettent pas de tirer des conclusions.
Nous manquons de documents qui puissent permettre de généraliser. Ainsi, seul le recueil des Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis, écrit par Philippe de Beaumanoir à la fin du treizième siècle permet de penser qu’elles étaient victimes de violences matrimoniales.

BLANCHE DE CASTILLE (1188-1252)

Les femmes célibataires devaient rester sous la dépendance d’une famille jusqu’à leur mariage, ou jusqu’à leur mort si elles ne trouvent pas de mari.
Saint-Louis, dans sa « Grande Ordonnance » de 1256 s’intéresse aux droits des femmes, leurs héritages et leurs dots doivent être particulièrement respectés. Selon lui : Les femmes étant considérées comme des êtres faibles, il appartient à la justice royale de les protéger. Il refuse ainsi, par exemple, qu’une femme soit punie pour les fautes de son mari.
Malgré ces modifications, la femme est très souvent cantonnée aux travaux ménagers, à l’éducation de ses enfants, aux métiers du secteur du textile, du petit commerce et de l’alimentation. Par contre, seules les femmes peuvent exercer des métiers dans le milieu de l’obstétrique et de la puériculture. Dans les entreprises familiales paysannes, les femmes s’occupent principalement de l’élevage, de la fabrication du pain, de la bière, et de la production laitière (sauf si cette production était spécifique à l’entreprise, dans ce cas, l’activité est réservée aux hommes).

Égales des hommes ?

En principe, oui. Grégoire de Tours raconte qu’au cours d’un synode provincial d’évêques à Mâcon, l’un des assistants protesta qu’une femme ne pouvait pas être appelée homme. Il lui fut répondu en citant la Genèse : « Au commencement Dieu créa l’homme, il les créa mâle et femelle, etc.».
Pour les chrétiens, il n’existe au début que des âmes qui ont rencontré un corps et qui devant Dieu ont une valeur identique. La question va se complexifier avec la coutume franque et l’utilisation parfois abusive qui va en être faite. 
Le douaire, terme de droit ancien désignant la portion de biens que le mari réserve à son épouse dans le cas où celle-ci lui survivrait, la bénéficiaire est dite douairière, était un élément fondamental du droit des gens mariés et préservait l’épouse en cas de décès de son mari. Il était majoritaire en Occident au début du Moyen Âge. C’est ainsi que des femmes peuvent reprendre l’activité artisanale de leurs maris décédés. Ainsi, la vicomtesse Ermengarde, au onzième siècle, reste seigneur du fief de Narbonne, hérité de son père, Eléonore de Beauvais, au treizième siècle, règne sur la châtellenie de Beauvais . 

Hélas, ce statut est remplacé peu à peu par la dot vers le douzième siècle.
Ce changement bouleverse la nature sociale du mariage et les stratégies matrimoniales. Alors que le douaire était relatif à l’hypergamie, les femmes épousant des hommes de rang inférieur, et que la femme en est l’usufruitière, la dot rend l’hypogamie majoritaire, ce n’est alors plus un jeune homme ambitieux qui achète son ascension sociale, mais la famille de la mariée. La femme est donc inférieure à son mari, ce qui détériore sa condition. Les filles dotées n’ont plus accès à l’héritage de leur père, les maris ont plus de pouvoir sur les biens de leur couple et quelque fois même la tutelle ou curatelle des enfants est retirée aux mères veuves. Beaucoup de veuves, privées de tous moyens de subsistance, sont donc condamnées au couvent ou à la prostitution.

Au onzième siècle, en Bigorre, les femmes sont appelées à discuter des contrats communaux lorsqu’elles sont propriétaires. On connaît l’exemple de la vicomtesse Ermengarde qui reste seigneur du fief de Narbonne, hérité de son père, pendant cinquante ans, à partir de 1134, détenant le pouvoir effectif, malgré des maris successifs. Elle commence stratégiquement par s’affranchir de la tutelle du comte de Toulouse pour placer ses biens sous la protection du roi de France. Elle sait se faire obéir et suivre par ses sujets dans ses décisions de chef d’Etat, décidant la guerre et signant les traités.
Pendant la guerre de Cent Ans, alors que leurs maris guerroient, certaines femmes se révèlent de remarquables femmes d’affaires.
Eustache de Beauçay, épouse du sire d’Olivet, et Jeanne de Chalon, noble bourguignonne, en sont les plus beaux exemples. À la tête d’un élevage, la première vers 1340, la seconde plus d’un siècle plus tard, elles réussissent toutes deux à négocier la vente et l’achat des bêtes, et, grâce à leurs habiletés commerciales, font prospérer leurs entreprises et leur domaines.

Un autre élément est celui de la violence conjugale.

Au treizième siècle, en France, les Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis (recueil de droit coutumier de Philippe de Beaumanoir), confortent les hommes dans leur droit de châtier leur compagne :

« En plusieurs cas, les hommes peuvent être excusés de mauvais traitements envers leurs femmes, sans que la Justice ait le droit de s’en mêler. Car il est permis à l’homme de battre sa femme pourvu que la chose n’aille pas jusqu’à la tuer ou même l’estropier, surtout si sa femme s’est attirée ces mauvais traitements par quelque fautes graves, comme le refus d’obéir à ses commandements. »

Si on ajoute que, seules les autorités ecclésiastiques, exclusivement masculines dans le cadre séculaire, étaient aptes à intervenir dans les affaires matrimoniales, on se doute que celles dont le philosophe Erasme parle comme « d’un animal inepte et ridicule », avaient peu de chance d’obtenir raison.

Dans le même ordre d’idées, le viol n’était puni que si la victime était noble.
La société féodale est divisée en trois classes pour les hommes : ceux qui travaillent, ceux qui combattent et ceux qui prient.
Le statut de la femme s’établit très tôt en fonction de l’exercice de la sexualité : les vierges, celles qui sont cloîtrées, parfois dès leur plus jeune âge et souvent à vie, les épouses chargées de procréer.

Le féminisme médiéval.

On ne peut guère évoquer un militantisme féminin comme on l’entendrait maintenant. Pourtant, contrairement à une idée souvent reçue, et au-moins dans une certaine catégorie de la société, il y avait une volonté féminine d’exister.
Aliénor d’Aquitaine est une preuve parmi d’autre de la volonté politique des femmes d’exister et même d’aller jusqu’aux extrêmes, comme elle l’a fait en prenant une part active dans la guerre de ses fils contre son mari. Elle l’a payé de quinze ans de captivité dans des conditions très dures.
Dymphne, qui inspirera le personnage de peau d’âne, préféra être décapitée plutôt qu’obéir à son père. Il voulait faire d’elle son épouse, Mais pour la majorité des femmes, il n’y avait guère de solution autres que d’obéir à leur père puis à leur mari et de faire beaucoup d’enfants. Et, comme le dit si joliment dame Carenza, trobairitz du treizième siècle connue pour ses échanges poétiques avec dame Alaïs, une autre poétesse :

« Na Carenza, penre marit m’agenza,
Mas far enfantz cug qu’es grans penedenza,
Que las tetinhas pendon aval jos
El ventrilhs es cargatz e enojos. »
« Prendre un mari je veux bien,
Mais faire des enfants est grande peine
Les seins vous pendent au plus bas
Le ventre se ride et fait mal. »

MARIE DE FRANCE (1160-1210)

En attendant Christine de Pisan, qui, veuve à 25 ans, pour nourrir ses trois enfants sera à la fin du quatorzième siècle, la première femme de lettres française ayant vécu de sa plume et qui s’engagera dans un combat en faveur des femmes et de leur représentation dans la littérature, ce qui fera d’elle la première militante féministe.
Marie de France, (1160-1210) dans certaines fables, comme « la femme et son amant » que j’évoque dans cet ouvrage n’hésite pas à présenter la femme comme supérieure à l’homme par l’esprit et Marie de Ventadour proclamait l’égalité des sexes devant l’amour dans un texte qu’elle écrivit avec Gui d’Ussel qui, tout chanoine qu’il était, n’en était pas moins sensible au attraits du « gentil sexe » et courtisa Marguerite d’Aubusson, épouse de Raynaud Six d’Aubusson, la comtesse de Montferrand, Gidas de Mondas, nièce de la reine d’Aragon et Marie de Ventadour.

Toutefois, au fil du temps, les hommes se sentent menacés par le pouvoir grandissant des femmes. Ils invoquent, lors de l’assemblée des états généraux de février 1317, la loi salique pour les écarter du pouvoir. Mais nous sommes presque à la fin du moyen-âge.

La guerre, moteur du féminisme

Une multitude de femmes se sont engagées dans les rangs des croisés, souvent aux côtés de leur chevalier de mari. Anne Comnène, fille de l’empereur Alexis, relate l’arrivée des premiers croisés à Byzance. Elle décrit un certain nombre de femmes nobles à cheval ou en litière et d’autres cheminant à pied avec les hommes. Loin d’être des épouses faibles et soumises entraînées malgré elles par leur mari, certaines vont au contraire jusqu’à combattre auprès des soldats, équipées comme eux. Ainsi les épouses des Normands de Sicile, ou Ida d’Autriche qui se joint à Guillaume le Troubadour pour la première croisade, ou encore Florine, fille du duc Eudes Premier de Bourgogne qui aurait combattu et rendu l’âme aux côtés de son fiancé Suenon, fils du roi de Danemark. Anne Comnène est frappée en particulier par la Normande Sichelgaïte, épouse de Robert Guiscard, capable de combattre comme un soldat, allant même jusqu’à poursuivre les déserteurs pour les ramener sur le champ de bataille.
Lors du siège de Saint-Jean-D’acre en 1191, le chroniqueur Jordan Fatosme raconte que les femmes « montèrent aux remparts et portèrent les munitions ; il n’y avait aucune fille ni femme qui ne portât sa pierre jusqu’au rempart pour la jeter. ». Cela dit, la plupart d’entre elles assument plutôt un rôle actif de soutien et d’encouragement, participant aux travaux des hommes, leur apportant l’eau et les vivres et soignant les blessés. Mais elles ne sont pas plus épargnées qu’eux par les combats ou par les famines. Elles sont tuées ou faites prisonnières par centaines, voire réduites à l’esclavage lors de la chute des états de Terre sainte.
Comme on peut le constater, rien n’est si simple. Et on retrouve, à la fois cette dualité dans une société prise entre le paganisme franc de ses origines et l’Église de Rome qui s’impose peu à peu, et les différences géographiques et chronologiques sur une période de 1000 ans qui rend aussi impossible toute généralisation qu’une comparaison entre le 19° et le 21° siècle.

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