En pleine guerre de cent ans, cette pandémie fera environ 37 millions de victimes, soit le tiers de la population européenne de l’époque qui est estimée à 75 millions.

Tout commence en 1346 lorsque les mongols de la Horde d’or assiègent Caffa, comptoir génois de Crimée. Les Mongols catapultent des cadavres infectés par-dessus les murs de la ville. Ou, selon le médiéviste Boris Bove, la contamination des Génois fut le fait de rats, ou de gerbilles.

Toujours est-il que, lorsque le siège est levé, faute de combattants, les bateaux génois, quittent Caffa, disséminant la peste dans tous les ports où ils font halte, Constantinople, Messine, Gênes, Pise, Marseille… Dans un monde médiéval où les communications sont déjà très développées, la peste, touchant des populations affaiblies par la famine et la guerre, se répand très rapidement.

Appelée aussi peste noire, elle suivait la grande famine européenne, (1315-1317), causée par la surpopulation. Ces deux événements tragiques vont entrainer une chute démographique. En conséquence, la main-d’œuvre manque, son coût augmente, en particulier dans l’agriculture. Des terres se retrouvent en friche et les productions céréalières et viticoles chutent.

Seul point positif, la désertification des campagnes entraine la fin du servage.

Sur le plan culturel, c’est la fin du moyen-âge et le début d’une période intermédiaire. La danse macabre, même si la première n’est attestée qu’en 1424 au Charnier des Saint-Innocents, traduit les angoisses de ce temps par une sarabande qui mêle morts et vivants, se moque des distinctions sociales. La mort fauche le riche comme le pauvre. Alors qu’elle a fait 11000 morts en Avignon, elle tue cent évêques et neuf cardinaux.

Rencontre des trois morts et des trois vifs (Les Petites Heures de Jean de Berry).

Les pauvres les plus touchés.

Ça ne veut pas dire que les plus pauvres n’ont pas été touchés les plus durement. En particulier à cause « des difficultés qu’ils éprouvent à se nourrir et de leur espace vital restreint », comme le souligne Giovanni Ambrogio Mazenta, (1565-1635), religieux et architecte milanais.  

Giovanni Filippo Ingrassia, (1510-1580), médecin anatomiste qui découvrit l’étrier, délivra Palerme de la peste, ce qui lui valut le titre d’Hippocrate sicilien, que toute la ville lui décerna. Il écrivit en 1576 : « en raison de l’humidité putride et des humeurs pernicieuses dues à un mauvais régime de vie, nous pouvons affirmer que les pauvres sont plus enclins à contracter cette maladie du fait de l’air ou par contamination. »

Cette thèse préfigure la naissance des premiers médecins hygiénistes, deux siècles plus tard, hélas : Jean Baptiste Dumangin, (1744-1826), qui met l’accent sur la propreté et l’aération des salles de l’hôpital de la Charité de Paris. Ou Jean Noël Hallé, (1754-1822), promoteur de la vaccination et de l’enseignement de l’hygiène.

 

Confinement et passeport sanitaire

Mais quand la grande peste se déclare, rien n’est en place pour la combattre. Aucun règlement d’hygiène publique, sauf à Florence, ne surveille la qualité du ravitaillement. En particulier, des viandes. On manque de médecins qui sont engagés à prix d’or, à cause du manque de candidats. Beaucoup ont fui l’épidémie et les pauvres ne sont soignés que grâce aux œuvres de charité de l’Église ou dans quelques villes italiennes.

A partir de 1348, certaines villes interdisent l’entrée des voyageurs et des étrangers venant de lieux infectés. D’autres décident de l’isolement total de leurs villes, mais les mesures restent très variées et tardives, et surtout destinées à prévenir les résurgences d’une peste qui ne s’éteindra qu’au début du dix-neuvième siècle.

Seulement en 1377, soit trente ans après l’apparition de la pandémie, Raguse est la première ville à pratiquer la quarantaine pour les voyageurs arrivant d’un lieu infecté. Venise l’imite ainsi que Marseille en 1383.

 Il faudra attendre plus d’un siècle pour que la quarantaine sur terre soit adoptée en Provence et le billet de santé, ou passeport sanitaire, délivré aux voyageurs sortant d’une ville saine, et exigé par les autres villes, ne se généralise qu’au début du dix-septième siècle.

Peu à peu, au quinzième siècle, se mettent en place des règlements de peste, dont l’application dépend d’un bureau de santé, sous la direction d’un capitaine de santé.  Ces mesures nées en Italie et en Espagne, et codifiées par les parlements provinciaux, n’atteindront Paris qu’en 1531.

Les teugnons soignant et enterrant les morts, vêtus d’un chapeau, d’une longue robe, de gants…

Persécution des juifs.

Gravure antisémite représentant un Juif incitant deux lépreux à empoisonner un puits. Illustration extraite de La France juive d'Édouard Drumont, Paris, Librairie Blériot, 1885.

Alors que la médecine reste impuissante, les gens se dépendant comme ils peuvent contre le mal. Des remèdes qui vont des fumigations de plantes aromatiques, aux processions pour éloigner les démons. Dont celles des flagellants. Et le port d’amulettes ou de talismans, voir le retour à des pratiques païenne et une résurgence de comportements superstitieux.

Le cas de la manie dansante ou danse de saint-Guy est assez particulier.

En Lusace en 1349 à l’approche de la peste noire, des femmes et des jeunes filles se mettent à danser, nuit et jour devant un tableau de la Vierge, jusqu’à ce qu’elles s’effondrent.

En juillet 1374, dans le Rhin moyen, ce sont des centaines de couples qui se mettent à danser et à chanter. Puis à Strasbourg et à Metz

Hélas, cette réaction pacifique n’empêchera pas la recherche des responsables de la pandémie. Et ce sont évidemment les juifs qui seront désignés. Dès 1348, des émeutes antijuives éclatent à Toulon et 48 juifs sont tués. Les autorités sont vite dépassées par ces massacres qui prennent de l’ampleur. Surtout dans le sud-est de la France mais aussi en Navarre et en Castille.

Philippe Six, le roi trouvé, fait pendre des Juifs accusés d’avoir empoisonné les puits. Le massacre s’étend en Savoie. En Suisse, des juifs sont torturés jusqu’à ce qu’ils avouent, faussement, avoir empoisonné les puits. Leurs confessions provoquent la fureur de la population qui se livre à des massacres. Des centaines de Juifs sont brûlés vifs à Strasbourg, le 14 février 1349. On les jette dans la Vienne à Chinon…

Pourtant le pape Clément Six proclame une bulle montrant que la peste ne fait pas de différences entre les Juifs et les chrétiens et parvient à prévenir les violences en Avignon. Albert Deux d’Autriche intervient aussi pour protéger les juifs. Deux preuves qui démontrent que, là où les responsables sont intervenus, le pire a été évité.

 

La culture de la mort

La grande peste n’a pas que des conséquences démographiques et économiques, mais aussi culturelle. D’une part avec la mort d’artistes, d’ouvriers qualifiés et de mécènes. D’autre part, par une modification drastique des états d’esprits.

Il est fini le siècle des cathédrales. Par manque de main-d’œuvre et par économie. En revanche, des chapelles votives sont construites pour remercier la Vierge, là où la peste s’est arrêtée.

L’art funéraire se développe, caveaux et statues. On voit apparaître le transi, sculpture représentant le défunt nu, souvent en putréfaction.

La mort envahit l’univers artistique. Eustache Deschamps (1340-1404) : « Qui veult son corps en santé maintenir, Et résister contre l’epydemie… » (Ballade). Pierre Michault, mort en 1467, fait dialoguer le religieux et « lomme » mondain : « Helas ! tout devient pourriture ; le riche n’emportera rien. ». François Villon, (1431-1463), l’auteur de la célèbre ballade des pendus, a perdu tout espoir : « Pour un plaisir, mille douleurs. »

Des thèmes macabres apparaissent sur les fresques ou dans les miniatures où des jeunes gens rencontrent des morts-vivants qui leur parlent : « nous avons été ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes ».

C’est : « Le Triomphe de la Mort », peint en 1562 par Pieter Brueghel, dit l’Ancien, (1525-1569). Allégorie de la mort, à cheval, qui porte une faux et commande à une horde de squelettes.

La Mort et les Trois Âges de la femme (Hans Baldung, 1510).

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