comment parlait-on au moyen âge ?

Le langage médiéval pris comme un jeu.

Pour le langage médiéval, plus que de langues ou de dialectes, on peut parler d’« art de parler » médiéval avec un ensemble de très nombreuses langues rangées en deux familles, la langue d’Oc au sud et la langue d’oïl au nord, sans compter l’anglo-normand, etc. Et la foule de langages vernaculaires, peut-être même individuels qui en découlent. Ce qui voudrait peut-être dire qu’à partir de langages vernaculaires plus ou moins apparentés dans un secteur donné, chacun crée des mots et des expressions très imagées, en même temps pour se faire comprendre et aussi pour accentuer les effets de ces mots. C’était en plus une manière chez nos résistants gaulois de ne pas tout abandonner au latin, même si son influence transparaît dans un très grand nombre de mots.

 Le latin servait à l’Église et le saxon, d’où nous vient notre r, à l’armée, mais il devait exister aussi un langage véhiculaire.

Il pouvait y avoir à la fois une nécessité pratique, la circulation intense et les échanges de cette époque rendaient nécessaire la création d’une langue véhiculaire, une sorte d’Espéranto médiéval, et les structures d’apprentissage et de diffusion unifiée de ce langage n’existaient pas encore. Mais aussi une volonté ludique, très nette dans certains textes et au regard de certains mots, vous pourrez le constater vous-même en consultant cet ouvrage, comme il en est de l’écriture, pourtant le fait d’une caste sociale plus cultivée : Des lettres comme le y seront utilisées à la place du i, parce plus esthétiques.

Les auteurs du moyen-âge étaient très créatifs en matière de vocabulaire, ils aimaient les jeux de mots, inventé… Et si nous prenions aussi le parti d’enter dans ce jeu, de ne pas être sérieux mais de nous promener en toute liberté à travers les mots dans cette époque dont nous avons tout à découvrir ?

 

Prononciation médiévale.

De même, pour la manière de prononcer, nous n’avons que de faibles indications mais les travaux conjugués de différents chercheurs permettent d’établir quelques hypothèses et de les vérifier par comparaisons, avec les dialectes des régions, certaines langues, ainsi qu’en étudiant les rimes et l’équilibre métrique des vers.

En plus des langues locales, on ne parlait pas de la même manière suivant son statut social, mais aussi suivant l’effet que l’on voulait donner à son discours.

Ainsi, la même phrase pouvait être prononcée différemment si elle était utilisée dans la vie quotidienne, dans un discours public ou sur scène suivant qu’on voulait lui donner un sens tragique ou comique, Corneille, dans son « discours sur le poème dramatique » ou Molière nous en donne bien des exemples mais, plus avant, Bertrand de Bacilly (1625-1690), dans son traité Remarques curieuses sur l’art de bien chanter  écrit :

« C’est un abus de dire qu’il faut chanter comme l’on parle, à moins que d’ajuster comme on parle en public et non pas comme on parle dans le langage familier. »

 

Le grammairien, Claude Favre, baron de Pérouges et seigneur de Vaugelas, (1585-1650) a fait de remarques qui nous apportent quelques précieuses informations :

 

Ainsy l’on sçait que l’oi, que l’on peut aussi parfois écrire oy, car l’y est une lettre assez jolie, doit être prononcé ouè, mais cela se fait assez peu à la Ville, et l’on prononce souvent soit è, quand il s’agit d’imparfaits qui pourront tout aussi, dans le courant, s’écrire ai, soit oua, comme l’on dit loua pour loi, et ce oi là peut encore quelques fois se dire ouè selon la personne qui parle et son temps. Mais le goût souvent archaïsant veut qu’en public, l’on dise ouè. Cela est au reste fort nécessaire.

L’r est plus gênant car s’il n’est point prononcé dans le privé, il est souvent prononcé dans le public, mais Monsieur Vaugelas trouve cette façon de dire déplacée, car on ne sauroit, pour luy, prononcer dans le public des lettres que l’on ne dit point dans le privé ; cependant Bacilly précise quant à luy qu’on le doit prononcer. Mais pour les autres consonnes finales, comme le t ou le d, le c ou le g, il faut d’abord noter qu’on peut les faire entendre, mais point trop fort car elles alourdiroient le Discours, et puis il faut sçavoir qu’à la fin des mots, d se prononce comme t, et g comme c, et enfin pour finir que devant l’s, on ne les doit point dire, comme le montre que les mots qui finissent par ent s’écrivent au pluriel ens et rarement ents.

 

Pour ce qui regarde la prononciation des consonnes finales, et en particulier de l’s du pluriel et de l’r de l’infinitif, les avis sont partagés. En effet, si pour l’s, M. Bacilly, dans son traité, précise qu’il le faut surtout prononcer lorsque lui seul permet de déterminer le nombre d’un nom, comme par exemple dans l’exclamation « Dieux ! », mais qu’il vaut mieux le taire si le pluriel est par ailleurs exprimé, comme dans « Les dieux me sont témoins, &c. », où l’article les dit déjà à luy seul que dieux est pluriel.

 

Quoi qu’il en soit, nos informations au sujet de la manière de prononcer au moyen-âge restent très vagues et imprécises. Comme pour le reste, de cette époque nous avons tout à découvrir, et c’est ce qui la rend passionnante.

 

Parler c'est chanter.

Il semble qu’il y ait eu une certaine continuité entre les traditions et les cultures druidiques et de la Grèce antique et ceci doit peut-être amener les musiciens à revoir leur manière d’interpréter les mélodies du moyen-âge.

Comme les druides et les philosophes grecs, les troubadours étaient polyvalents, médecins ou herboristes compétents, comme Peire d’Alvernha  ou guerrier, comme Bertran de Born, hommes occupant des postes important dans la hiérarchie religieuse, comme Folquet de Marseille qui fut évêque de Toulouse.

Le peu d’importance donné à l’écriture, ce qui explique le peu de trace qui nous reste de ces mélodies. Des spécialistes les notaient parfois dans des transcriptions sommaires qui apparaissent plus comme une « antisèche » que véritablement une partition comme nous l’entendons à notre époque.

Mais surtout, il est clair que dans la chanson, c’est le texte qui dirige la mélodie, et le rythme est une succession de valeurs longues et brèves suivant l’emplacement des accents dans les vers qui se rapproche du système grec comme une succession de tétramètres, précédés ou non d’une levée :

 

Regardons ce premier vers d’une  chanson de Bertran de Born :

« Ai ! le-mo/sis-fran-cha/ter-ra-cor/te-e-e / sa… »

      _  U _   /  _  U      _  / _   U  _  / _ U_ / __

 

On retrouve ce même système dans des poésies anglaises plus récentes :

« And the sheen of their spears was like stars on the sea… » (Lord Byron)

Et le même état d’esprit dans des mouvements musicaux comme le rap.

Il n’y a pas de trace écrite de mélodie instrumentales. Le musiciens accompagnait le chanteur qui était avant tout un poète et le texte restait l’essentiel, que ce soient la canso, chanson d’amour, le descort, chanson exprimant un désespoir amoureux par les dissymétries du texte, le sirventès, texte satirique…

Les transcriptions faites à l’époque sont donc un précieux complément d’information sur la manière de parler à cette époque et l’Analyse du langage un précieux guide pour l’interprétation des mélodies de cette époque.

Les deux doivent, en tous cas, nous amènent à revoir nos idées reçues et la manière dont nous abordons l’histoire comme les modes d’expression artistique du moyen-âge.

 

 Je vous donne cependant quelques indications tenues pour assez probables par différents spécialistes :

 

Chaque lettre se prononce en règle générale :

mai = ma-i, proa = pro-a, biais = bi-a-iss, reial = re-i-i-al…

Il y a quelques exceptions que nous verrons par la suite et en particulier dans la disparition des finales qui augurent le futur e muet ainsi que les différentes manières d’orthographier les fins de mots qui nous laissent penser que déjà on ne les prononçait plus,  

 

 

 

A

A se prononce à peine à la fin des mots, finale en a étouffée

Les finales en at se sont plus tard transformées en té :

Vertat ou veritat = vérité

AI se prononce ay si final ou a-i à l’intérieur d’un mot.

 

C

c  se prononce généralement k

ch se prononce tch mais avec un t très discret

ç se pronce ch

E

e est l’intermédiaire entre é et è, jamais vraiment ouvert ni fermé.

G

G se prononce J, sauf devant U

 

LH GH

Lh se prononce ill : falhimen = fa-i-lli-men, erreur, faute.

Gh se prononce gn. Planh, chant de deuil. Mais haghenee, hacquenée, jument me semble une exception.

 

O

L’o accentué non final (c’est-à-dire après lequel une consonne au moins se prononce) est fermé et long  :

lorsqu’il est suivi d’un [z] : chose, prose, ose, rose

lorsqu’il s’écrit ô : côte, geôle, hôte, rôle

dans la plupart des mots où il est suivi d’un seul m ou n : fantôme, atome, icone, prône

dans la plupart des mots, savants ou étrangers, terminés en -os (mérinos, albatros, Minos, Argos) 

dans une partie des mots en -osse : grosse, fosse, endosse, adosse.

Il est ouvert et long ([ɔː]) :

lorsqu’il est suivi d’un [R] : or, cor, encore, dort, accord

lorsqu’il est suivi d’un [ʒ] : loge, éloge, horloge

lorsqu’il est suivi d’un [v] : ove, innove.

Il est ouvert et bref ([ɔ]) :

devant les consonnes ou groupes consonantiques non mentionnés ci-dessus : forme, morte, porte, propre, vol, idole, col, golfe, colonne, automne

dans quelques mots en -ome ou -one : économe, Rome, madone, anémone

(dans quelques mots en -os : rhinocéros, cosmos

5dans quelques mots en -osse : bosse, crosse, rosse.)

 Oi, oy : [we], et non oué : le son final est très ouvert, comparable à ouais dans notre prononciation courante.

 

QU

On ne prononce pas le u.

 

U

U se prononce «ou » après une voyelle :

gauta = ga-ou-èta, joue, beu = bê-ou, estiu = est-iou, été.

Mais il se prononce « u » entre deux consonnes :

agulha = agulia, aiguille. Ajudar, aider. Alcun, aucun.

ou en première position dans une diphtongue : buerna, brune.

ne se prononce pas après G et Q : aigua = a-i_ga, eau.

 

R

Le r se roule légèrement

Y est une transcription esthétique de i dont il a le même rôle.